Textes

Les Anglais ont réveillé la peur du fou.

À 20h, le Québec s’est doté d’une première femme à la tête de son gouvernement.

À 22h30, Jean Charest, machine politique invaincue depuis 28 ans (jour pour jour), était défait dans une élection.

À 23h55, on assiste au premier attentat politique québécois capté et suivi (presque) en temps réel.

Comme c’est le cas depuis que le Québec a pris le pas de l’instantanéité du micro-commentaire, Twitter et Facebook ont vite dépassé en quantité, nouveauté et qualité ce que les médias traditionnels pouvaient fournir à leurs auditeurs. Radio-Canada a d’ailleurs fait un travail exemplaire de réserve et de vérification des pistes avancées sur Twitter, orchestrant un superbe jeu de va-et-vient entre la machine à rumeurs, les scoops des journalistes-citoyens et son propre code de conduite.

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Sur mon fil twitter, j’ai eu presque autant de réactions que d’abonnés. De tous les archétypes de commentaires, le plus populaire a immédiatement été d’utiliser la folie comme échappatoire, comme étagère où «ranger» l’évènement. Évidemment, c’est un réflexe humain de réorganiser la réalité pour mieux la digérer, surtout quand elle est bouleversante. Les New Yorkais l’ont fait le 11 septembre, les Londoniens le 7 juillet, les Madrilènes le 11 mars, les Osloïtes le 22 juillet.

La folie est un raccourci plaisant et pratique, puisqu’il permet de décontextualiser du temps, du climat politique, de l’époque, un geste traumatisant. La faute revient alors à un dérèglement du système, à un déterminisme social et biologique qui «fait partie de la vie», mais qui en même temps est imprévisible, aléatoire, sans patron. Bref, comme un accident ou le cancer : ça peut arriver, c’est plate, mais il n’y a pas de sens à tout ça.

Un tel réflexe n’est pourtant pas le plus lucide, ni le plus utile. Il décourage toute réflexion, toute analyse, qui prendraient un autre point de vue que celui du dérèglement sans explication.

Une grande partie des Francophones qui ont découverts Richard Bain hier soir n’ont simplement pas pu faire de mise en contexte, puisqu’ils ignorent largement le climat dans lequel baigne la presse anglophone. Qui ici a déjà acheté la Gazette, le Post ou le Globe ? Qui est abonné à Sun News?

Les blogueurs, éditorialistes, et les lecteurs qui leur faisaient écho ont été d’une rare radicalité durant la campagne. Il y avait une pluralité d’opinions exprimées, évidemment, mais les amalgames fascistes et la haine anti-Québec, anti-francophones et anti-Montréal était immanquable. Voici des exemples tirées du National Post (c’est un échantillon des plus durs. Ils ne sont pas TOUS comme ça) :

 

Il n’existe pas une cause, une explication, une équation pour comprendre. La diabolisation de Mme Marois et l’état d’alerte maintenu par, entre autres, The National Post, y a peut-être contribué. Peut-être pas.

Je ne suis pas un tenant des théories de l’impact direct des médias sur les individus. La prétendue seringue hypodermique (le heavy métal ou le rap, les jeux vidéos, le cinéma) avec laquelle on pourrait «injecter» des comportements, c’est très 1938. Mais ça ne me semble pas si farfelu qu’un être débalancé, à qui des journalistes et des médias fournissent un discours de haine et une version menaçante et distortionnée de la réalité, puisse trouver la confirmation de «faire quelque chose» au nom d’une minorité dite «sous attaque». C’est un acte isolé, certes, mais il a bel et bien parlé «des Anglophones qui se réveillent».

Vouloir tout mettre sur le dos de la folie, c’est aussi refuser de voir que nos choix politiques, nos revendications et l’aspiration de certains à l’indépendance du Québec est toujours perçu violemment ailleurs, par certains. Clairement, Baine n’a pas tous les morceaux qu’il devrait avoir, mais ses gestes demeurent (relativement) prémédités, et motivés politiquement. C’est ce qu’on appelle un attentat. Aucun psychiatre ne pourra démonter ça.