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Hommage à Forbrydelsen (The Killing)

Toujours compliqué de faire des palmarès. Chaque année, le bon Frédéric Guindon me torture avec son Grand Recueil de la Bonne Musique. Pour ce qui est des séries télévisées, j’ai avancé ici certaines de mes préférences, Breaking Bad et The Wire. Ils côtoient de près dans mon panthéon personnel une série danoise qui n’a eu ici que très peu de presse. C’est un tort que je m’apprête à régler. Check ben ça.

Les sonorités gutturales du danois sont, il est vrai, assez exotiques pour nos oreilles anglo-latines. Tout comme les prénøms avec beaucoup de K et les O avec une barre dedans. On a beau aimer plébisciter les pistes cyclables de Copenhague, le coup de patin des Suédois et le filet social de la trinité scandinave, il n’en demeure pas moins qu’on les ignore le plus souvent du temps.

La vague de narratifs policiers qui a émergé ces dernières années de ces pays du Nord est une de leurs exportations les plus notables et profitables. Les exemples les plus retentissants demeurent les démêlés avec le Mal de Lisabeth dans Millenium, ou l’instinct de l’inspecteur Wallander, du romancier Henning Mankell, qui a vendu des dizaines de millions de livres et a vu sa série adaptée à l’écran et traduite de par le monde.

Søren Sveistrup est auteur d’une dizaine de séries, mais sa la notoriété a explosé avec la première saison de Forbrydelsen, une épopée sur 20 épisodes d’une heure autour d’un seul crime, qui finit par toucher tous les échelons de la vie financière, policière, politique et judiciaire de la capitale danoise. Phénomène social là-bas, la dernière de la série a rejoint 73% du Danemark.

La deuxième saison amenait Lund sur les traces d’une série de meurtres qui l’emmèneront dans les coulisses de l’armée et de la lutte anti-terroriste. Ce n’est évidemment pas le sujet le plus original, mais il permet pour une rare fois d’avoir le point de vue danois sur la chose, ce qui est assez instructif.

Le troisième volet sera diffusé dès la mi-novembre en Angleterre. On s’attaque à la crise financière mondiale, mais toujours à partir d’un seul crime. Sveistrup pourrait passer sa vie à exploiter le riche concept qu’il a créé, mais tient trop à sa série pour la voir assécher par le manque d’idées, ce qui arrive trop souvent.Il confiait sagement au Guardian: “I don’t want to be the king sitting just clinging on to my territory, because something new has to happen and I have to invent something new. I could write The Killing for the rest of my life, but it wouldn’t be good.”

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BBC4 a racheté les droits (ce sont ces version sous-titrées que je vous conseille de pirater, si vous ne parlez pas danois), qui ont tous les deux connus un succès fulgurant et vu se développer un culte autour de Sarah Lund, la protagoniste principale.

Distante, analytique, froide: les caractéristiques dominantes de son personnage sont habituellement réservées aux hommes et aux méchants. Pourtant, elle est attachante et d’une féminité indéniable, Elle contraste avec un autre personnage fort de la télé américaine contemporaine, celui de Claire Danes dans Homeland (pas une mauvaise série, mais pêchant par ses clichés) qui, bien que compétente, est nécessairement névrosée, utilise le sexe et la séduction pour arriver à ses fins, se fait plier par ses supérieurs (masculins). Lund, par contraste, est d’une logique implacable, refuse d’utiliser sa sexualité, et n’hésite pas à abandonner collègues, famille et mariage pour découdre du mystère tissé serré.

L’engouement pour ses iconiques «pull over» de laine, tricotés à la main par une petite entreprise de l’ile Faroe, a moins affaire avec leur esthétisme et qualité contre les embruns de la mer de Norvège que parce qu’ils évoquent pour moi ce mélange de bienveillance et de quasi-omniscience que j’associe à la maternité. Quiconque a déjà essayé de mentir à sa mère devrait savoir de quoi je parle.

(On la voit ici donnant un de ces célèbres laines à Camillia, la Duchesse de Cornwall et femme de Charles.)

Un peu à la manière de David Lynch, les acteurs de la série n’ont jamais l’entièreté du script. Ils reçoivent, à chaque jour, une partie de l’intrigue qu’ils devront jouer. Sveistrup l’avoue candidement, il a un plan pour chaque saison, mais pas de coupable. Technique rare et éreintante, il écrit chaque épisode au fur et à mesure qu’ils sont filmés. L’effet est redoutable, puisque les acteurs apprennent au même rythme que les spectateurs le dénouement de l’intrigue. Il implique aussi directement ses acteurs dans l’élaboration des lignes directrices du scénario.

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Pour les enrichis:
– Le blogue SarahLundSweater.com a une section contenant toutes les informations nécessaires pour tricoter un authentique gilet de laine de Sarah Lund. L’autre option est d’en commander un «vrai», pour 300 Euros.

– Il existe aussi une version américaine de la première saison de Forbrydelsen, aussi intitulée The Killing. Les Américains ont préféré étiré l’intrigue en 26 épisodes de 45 minutes, plutôt que les costaudes 60 minutes danoises. Évitez, si possible. Et commencez à télécharger la version originale sous-titrée.