Textes

Baba Jukwa: La taupe qui utilise Facebook pour renverser Robert Mugabe.

Capture d’écran 2013-07-18 à 16.01.33

Un vieil homme blanc qui terrorise un vieux noir. Au Zimbabwe, c’était une histoire banale jusqu’à l’indépendance de ce qui s’appelait alors la Rhodésie, en 1965. Mais depuis mars dernier, les révélations troublantes de Baba Jukwa (le père de Jukwat) sur le parti de Robert Mugabe, président depuis trois décennies, sont perçues par plusieurs comme l’espoir le plus tangible pour vaincre un régime qui n’a fait que maquiller les techniques et desseins des anciens coloniaux.

Dans un message publié le 18 juillet, le pépère grisonnant cite de mémoire Napoléon: «Ce ne sont pas les violences des mauvais qui font souffrir le monde, mais le silence de ceux qui sont bons». Son arme: un accès privilégié à l’intérieur du Zanu-PF, parti de Mugabe, et une page Facebook comptant 259 000 abonnés, mais qui doit être consultée par beaucoup plus de personnes (le Zimbabwe a un taux de pénétration de téléphone mobile de 100%, dont 60% aurait accès directement à internet). Son objectif: contribuer à ce que les prochaines élections, qui doivent se tenir d’ici le 31 juillet, mettent à la porte un des pires régimes au monde.

Plusieurs fois par jour, la page relaie des informations: des déploiements de troupes militaires; la ré-ouverture d’un centre de torture; des enlèvements de figures politiques de l’opposition; de l’intimidation par la police; des fraudes électorales; la feuille de route viciée des candidats du Zanu-PF; des fonctionnaires corrompus; des journalistes achetés ou réduits au silence; même des prières!

Son fait d’arme le plus spectaculaire: il avait prédit plusieurs semaines d’avance la mort d’un ancien ministre de Mugabe vu comme un rebelle. Le 19 juin, une semaine après avoir publié un rapport accablant sur la gestion des diamants, Edward Chindori-Chininga percutait un arbre. Il avait précédemment survécu un autre accident en mars, quand une camionnette avait emboutie sa voiture de fonction.

***

Baba Jukwa se décrit comme un «père concerné», qui combat le népotisme et veut rétablir l’imputabilité des élus envers le peuple. Dans les faits, on sait très peu de choses sur lui. À commencer si c’est un «lui», un «elle» ou un «eux». Le Herald, organe de presse officiel du gouvernement, semble penser que Baba vient de l’intérieur du parti. La diversité des styles des messages publiés font penser à d’autres que plusieurs personnes alimenteraient la page*. Mais pour beaucoup, la crédibilité de l’information proposée et le chaos qu’elle engendre dans les rangs du Zanu-PF est tout ce qui compte.

Signe que Baba Jukwa dérange: on rapporte qu’il est maintenant mal vu d’aller aux toilettes durant les rencontres officielles, de peur d’être accusé d’envoyer de l’information privilégiée par SMS. Et Mugabe a promis, il y a quelques jours, 300 000$ dollars de récompense à quiconque permettrait d’identifier le/les auteurs de la page. Quelqu’un a même copié pauvrement le concept en lançant Amai Jukwa (Mère de Jukwa), qui est entretenue probablement par des proches du parti, probablement depuis les États-Unis. 

Contrairement aux révélateurs de secrets occidentaux (Bradley Manning, Julian Assange, Edward Snowden), Baba a choisi l’anonymat. Il opère depuis l’intérieur du pays et ses révélations suivent l’actualité au jour le jour: c’est donc plus que sage de garder profil bas. La tactique de la taupe permet également d’affecter directement la confiance du parti, et de démontrer sa faiblesse aux électeurs.

***

Ses critiques profitent bien sûr du mystère qui entoure le personnage. Dans les commentaires d’un article dans The Economist, des intervenants pointent vers une opération de la CIA, une sorte de Samizdat africain visant à punir Mugabe pour sa réforme controversée des terres agricoles.

20130629_MAP003_0
Il est vrai que les moyens employés par Baba Jukwat ne sont pas tous propres. Il est toujours difficile de faire la part des choses entre potinages, rumeurs et fais avérés, ce qui est toutefois inévitable dans un pays qui n’a pas de tradition de presse libre. Il encourage aussi ses lecteurs à harceler des individus dont il donne souvent le numéro de téléphone et l’adresse personnelle. Et il ne recule pas devant les ragots pour salir les réputation, mentionnant par exemple les aventures extra-conjugales d’une figure médiatique pour le discréditer. En même temps, quand ton adversaire a l’armée, la police, les médias, les entreprises privées et le système judiciaire de son bord, la guérilla et la guerre psychologique deviennent inévitable.

Certains affirment même que la page de Baba Jukwa irait à l’encontre des règles de conduite de Facebook. La clause «Vous n’intimiderez pas et n’harcèlerez pas d’autres utilisateurs» peut-être. Et il sera intéressant de voir si Facebook réagira lors de la campagne électorale du Zimbabwe, qui doit, j’imagine, avoir quelques règles encadrant la promotion de candidats.

Dans tous les cas, l’héritage de Baba Jukwa est fondateur pour ceux qui subissent le désastre de l’acharnement politique du président nonagénaire. Baba Jukwat signe d’ailleurs tous ces messages de «Asijiki !», qui veut dire quelque chose comme «plus jamais comme avant». Qu’on commence à installer des antennes WiFi autour de la Corée du Nord tout de suite…

*Dans une entrevue publiée aujourd’hui, quelqu’un affirmant être Baba Jukwa clarifie quelques points sur son identité, location, parcours…